Analyse : les débats internes renforcent la démocratie

Publié le par les Socialistes du Rhône avec Laurent FABIUS

Vive les primaires

Tribune publiée par Thomas Philippon, professeur assistant, New York University, dans le journal Libération du 26 septembre 2006.

L'expérience outre-Atlantique atteste de la valeur démocratique des débats préliminaires.

La couverture médiatique de la campagne interne du Parti socialiste montre que les analystes et commentateurs politiques ont du mal à adapter leur grille de lecture à ce phénomène nouveau. Pour comprendre la vraie nature des élections primaires, il est utile de se pencher sur l'expérience américaine.

Aux Etats-Unis, l'organisation d'élections primaires ouvertes est la règle, non l'exception, et les débats se déroulent souvent dans des universités. En règle générale, l'entrée est libre (il suffit de s'inscrire par avance), mais il arrive aussi que l'audience soit sélectionnée de façon indépendante (par un organisme de sondage, par exemple) pour garantir sa représentativité. Le modérateur est souvent un journaliste de radio ou de télévision. Une vingtaine de débats entre les candidats à l'investiture démocrate ont ainsi eu lieu d'avril 2003 à février 2004.

L'histoire de ces élections est riche d'enseignements et permet de déconstruire un certain nombre de mythes, au premier chef la prétendue mauvaise qualité des débats lors des primaires. Des chercheurs ont ainsi analysé les interventions des candidats à l'investiture durant les primaires de l'après-guerre (1948-2004, primaires républicaines et démocrates), et ont classé leurs déclarations selon plusieurs critères. Le premier critère est la nature de l'intervention, qui peut être soit une attaque, soit une défense, soit une mise en valeur des idées ou de la personnalité du candidat sans référence explicite à ses concurrents.

Les données américaines montrent que 64% des interventions sont des mises en valeur, 32% des attaques, et 4% des défenses. La couverture médiatique ne reflète pas correctement ces proportions, puisque 52% des déclarations discutées par la presse sont des attaques, pour seulement 43% de mises en valeur. Il est bien évident que ce biais est également présent dans les médias français.

On peut ensuite distinguer les attaques qui sont dirigées contre les autres prétendants à l'investiture de celles qui sont dirigées contre les candidats du parti adverse. Les données montrent que les attaques «fratricides» représentent moins de la moitié du total des attaques, et donc moins d'un sixième de l'ensemble des déclarations.

De plus, lorsque l'on classe les interventions selon qu'elles contiennent des propositions et des idées (sur la sécurité, l'emploi, etc.), ou des remarques sur la personnalité des uns et des autres, on trouve que 63% des interventions se situent au niveau du débat d'idée. On est donc loin du cliché sur les querelles intestines et les attaques personnelles. Les coups bas apparaissent en fait surtout lors de campagnes publicitaires, orchestrées la plupart du temps en sous-main.

La réunion de Lens nous a montré que cette règle s'applique aussi en France, et les futurs débats ne manqueront pas de le confirmer. Les petites phrases assassines sont plus souvent prononcées à l'intention de la presse que devant les militants. Les candidats intelligents savent que les attaques personnelles sont contre-productives lors d'un débat public, et ceux qui l'ignorent l'apprennent à leurs dépens. Dès lors, et contrairement à l'opinion la plus répandue, on peut s'attendre à une amélioration de la qualité des débats lorsque ceux-ci auront lieu en public, et non plus par caméras interposées.

Un nombre élevé de prétendants ne constitue pas nécessairement un obstacle à la bonne tenue d'un débat public. Les primaires démocrates de 1992 avaient commencé avec dix candidats avant de déboucher sur la victoire surprise de Bill Clinton face au président sortant George Bush. Ceux qui dénoncent sans réfléchir la multiplication des candidatures témoignent surtout d'un manque de confiance envers la démocratie. Ne les écoutons pas. Vive les primaires, et vivement les débats.

Publié dans Vu dans la Presse

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